Monsieur le député François Ruffin. Le 8 juillet 2023 vous avez posté une vidéo « Guerre au Congo : la France muette ? » sur votre compte YouTube, ainsi que sur vos différents réseaux sociaux. La transcription de votre discussion filmée est la suivante :
« Un million de personnes déplacées, des massacres, la famine, des camps sauvages, le retour du choléra... Depuis un an, le groupe armé M23 déstabilise l'Est de la République Démocratique du Congo, avec le soutien de son voisin, le Rwanda. C'est un conflit larvé depuis 30 ans, pour le contrôle des terres, des ressources, et de la région, avec dans le rétroviseur, l'histoire d'un génocide dont la page n'a jamais vraiment été tourné. Et au centre, la France ferme les yeux, ou plutôt s’enferme dans le silence : à l'image d'Emmanuel Macron réussissant l'exploit, en mars dernier lors de sa visite d'Etat au Congo, de ne pas prononcer une seule fois le mot "Rwanda"... Entretien avec Distel Zola, footballeur international franco-congolais et fondateur, avec sa femme Laurène, de la Fondation Banazola qui vient en aide aux jeunes congolais. Et Mélanie Gouby, journaliste d'investigation basée à Londres, correspondante en Afrique pour Le Figaro, puis pour Newsweek et le Washington Post notamment. Elle est l'auteure du documentaire Virunga, une enquête tournée en RDC sur la compagnie pétrolière Soco International. »
Par cette initiative, vous avez souhaité vous inviter dans la situation de l’Est du Congo et dans l’histoire de la région des Grands Lacs. Une situation à propos de laquelle nous, société civile et engagée localement ainsi qu’au sein des diasporas, attendons toujours une parole soutenante et éclairée de la part de celles et ceux qui se proclament concernés par la protection des vies humaines, où qu’elles se trouvent. En invitant pour ce faire Mme. Mélanie Gouby, et en la laissant professer des accusations anti-Tutsi de manière compulsive, vous vous êtes rangé du côté des bourreaux des peuples congolais et rwandais. Cela n’est sans doute pas une erreur. La LFI, votre parti, est une habituée des sorties plus qu’approximatives et douteuses concernant notre histoire. Jean-Luc Mélenchon, premier des Mitterrandiens, est rompu au discours négationniste du double génocide créé de toute pièce par son totem politique afin d’échapper aux accusations de collaboration post 1994. En effet, lors de sa déclaration du 27 mai 2021[1], ce dernier mit une fois de plus le génocide contre les Tutsi et les allégations à l’encontre du FPR concernant le Congo sur un même pied d’égalité. Nous n’avons de cesse de le répéter : au Congo il y eut une guerre[2], oui, mais y apposer les termes du crime des crimes et des atrocités de masses va clairement dans le sens de la théorie négationniste du double génocide. [3] Dans un contexte quasi-identique, concernant la Shoah, oseriez-vous parler frontalement de la souffrance des nazis pourchassés ? Collectivement, vous ne respectez pas l’histoire de la Shoah et devez donc souffrir de plusieurs polémiques par an, bien que cela ne provoque aucune introspection de votre part, seulement des réactions de défense. Ici encore, vos propos sont ressentis par les rescapés Tutsi comme ceux de véritables Faurisson modernes. Par ailleurs, il est éreintant de toujours devoir faire des ponts - afin de contrer vos réflexions non abouties - avec les autres génocides notamment perpétrés en occident, pour que vous ayez l’opportunité de saisir l’ampleur de vos offenses. Il faut aussi respecter nos histoires, sans nuance ni empathy gap du fait de l’africanité de celles-ci. Clamer qu’il n’y a pas que la guerre en Ukraine qui importe ne fait pas de vous un antiraciste. Enfin, votre député Monsieur Bilongo s’est également déjà exprimé à quelques reprises sur le même modèle des accusations anti-Rwanda sans fond ni argument aucun, juste une persuasion intime et dépolitisée qu’un grand mal sévirait dans la grande région de l’Est du fait du Rwanda. Il s’agit-là de l’effet de l'idéologie anti-Tutsi, à savoir, désigner un bouc émissaire afin de protéger les pilleurs réels du Congo et d’éviter de mettre en avant les responsabilités de chacun. Cette mauvaise soupe idéologique, fut créée dès la fin des années 1950 lorsque les colons renversèrent leurs alliances au Rwanda, passant d’un soutien au groupe Tutsi qu’ils avaient créé de toute pièce selon les racialisations européennes d’époque (l’idéologie hamitique[4]) au soutien à un groupe Hutu, Bantou (« vrais Africains » selon eux) et rejetant les Tutsi sur le modèle de l’antisémitisme, avec à l’appui de réelles productions locales de « protocole des sages de Sion » produits par le Hutu Power et diffusés largement.
Il vous manque, monsieur le député, la plus basique des instructions sur notre histoire.
Passons désormais au fond de cette intervention : madame Gouby commence par affirmer que le M23 est l’une des milices les plus puissantes au Kivu. Ce n’est pas le cas, les ADF et les FDLR sont les plus puissantes, ancrées dans l’économie locale et déstabilisatrices. De plus, le M23 n’est pas un pantin aux noirs et étrangers desseins, il s’agit d’un groupe d’autodéfense possédant une hiérarchie articulée - cela est vérifiable au sein de toutes leurs communications - qui se bat pour la protection d’un groupe historiquement menacé de mort et d’extermination. Que la lutte armée, en autodéfense, soit leur seule solution dans un pays instable et ingéré est accablant. Cela n’est pas une raison pour balayer d’un revers de main leurs revendications propres ainsi que leur vision de la situation politique du Congo. Madame Gouby insistera à de nombreuses reprises sur le fait que le M23 est soutenu par le Rwanda, or il n’y a aucune preuve tangible de ce soutien hormis des rapports produits par des personnes elles-mêmes anti-Rwanda et interrogeant des sources douteuses (potentiellement des populations idéologisées anti-Tutsi, des membres des FDLR ou encore des FARDC…). Elle amorce ensuite un passage sur le supposé massacre de Kishishe, qu’elle lie fermement au Rwanda tout en admettant que les preuves sont inexistantes car personne ne s’est rendu sur place. Il s’agit d’influencer votre audience par la suggestion du pire.[5] Le couple Zola, votre caution locale, prendra la parole à de nombreuses reprises sans que l’on puisse être éclairés par un quelconque savoir de terrain. Ils nous livreront des histoires impersonnelles et imprécises, cherchant à provoquer les émotions de l'audience. Pourtant, celles et ceux qui ont vécu les discriminations systémiques racistes et mortelles dans cette région du monde sont capable de productions de récits bien réels et intimes [6] … Mélanie Gouby continue, imperturbable, avec plusieurs allégations approximatives et, ou excessivement imaginaires : le M23 ne serait qu’une « milice » parmi une centaine « toutes liées à la déstabilisation du Rwanda ». Ces propos outranciers laissent sans voix. Comment est-il possible de procéder à ce genre de déclaration fallacieuse de façon aussi détachée ? Quant à la désormais faible dangerosité et influence des FDLR - génocidaires rwandais au Kivu - qu’elle nous assure, il s’agit également d’une affabulation. Nous ne manquons plus d’exemples concrets à propos de leur influence, voire de leur contrôle total de localités entières [7]. Si des opérations conjointes ont effectivement eu lieu entre le Rwanda et le Congo, menant à des arrestations et à un affaiblissement de la milice raciste et génocidaire, les récentes actions du gouvernement congolais visant à renforcer les FDLR, les financer et les intégrer à son armée nationale en ont probablement annulé les effets. Par la suite madame Gouby indique que la précédente rébellion du M23 fut stoppée car des pressions politiques internationales auraient été exercées sur le Rwanda. Cela est faux. Elle fut stoppée car des promesses faisant suite à des négociations officielles ont été faites au M23 de la part de Kinshasa. La rébellion reprit car ces promesses ne furent tout simplement jamais appliquées.
Le M23, encore une fois, n’est pas un pantin, mais possède ses revendications propres et légitimes quoi que l’on pense de leurs méthodes d’autodéfense armée depuis la quiétude de la plupart des villes européennes. Ces revendications sont disponibles au sein de leurs communications officielles qui ne seront jamais mentionnées dans vos échanges. Il semble important d’insister sur ce point car, concernant nos histoires régionales et ce depuis 1994, il est de coutume pour les observateurs étrangers de valider la vision du camp agresseur et coupable (l’affairiste classe politique congolaise ainsi que les groupes Hutu extrémistes rwandais qualifiés de toute part « d’opposants » ...) en invisibilisant totalement celui des victimes de violences systémiques ; ici les populations Hema et Tutsi. Cela est une habitude occidentale dérangeante à propos des histoires considérées comme non complexes, binaires car se déroulant dans des parties du monde toujours observées telles un tiers monde. Monsieur le député, vous vous situez dans ce point de vue situé dominant et méprisant.
Concernant les arguments d’autorité « ONU », « HRW » convoqués à plusieurs reprises par madame Gouby, cela fait désormais des années que la non-neutralité des personnalités qui sont à l’origine de leurs rapports - voir leur accointances avec les agresseurs - est pointée du doigt.[8][9] Il est toujours cocasse de lire et d’entendre de toute part les institutions Onusiennes portées en argument d’autorité et de pureté par les analystes de la situation au Kivu, lorsqu’elles ont accueilli le Rwanda génocidaire officiel dans leur rang - dans le conseil de sécurité élargi de l’ONU en 1994 - validant leur agenda mortifère et leur story telling. Madame Gouby se permet par la suite une longue partie café du commerce à partir de votre interrogation « pourquoi cette résurgence de la violence ? » À laquelle elle répond « personne ne sait réellement » avant de nous servir un confus et non argumenté « moi je pense que ». Il s’agit-là du pouvoir consacré par la blanchité : transformer une ignorance non masquée, assumée, en une parole d’autorité. Une prouesse.
Nous arrivons ensuite à la partie qui est peut-être la plus grave. Lorsque vous vous permettez, monsieur Ruffin, de faire de nouveau appel à la théorie du double génocide sans en employer frontalement les termes, insinuant que les troubles au Congo font suite « au génocide qui s’est déroulé au Rwanda » (appellation négationniste) et en insistant de façon perverse sur un supposé trouble psychologique qui ferait que par culpabilité, le monde (occidental) fermerait les yeux sur les soi-disant agissements du Rwanda. Monsieur Ruffin, cela fait 30 ans que nous entendons ces accusations portées sur le même modèle antisémite du « on excuse tout à Israël à cause de la Shoah ». Cela est faux et manipulatoire. À quelle culpabilité faites-vous référence ? Aucun pays anglo-saxon ne respecte réellement l’histoire du génocide perpétré contre les Tutsi. Tous emploient très officiellement des appellations négationnistes qui pervertissent la nature et les responsabilités du crime des crimes. Les génocidaires trouvent refuge sur les quatre coins du globe et la plupart ne seront certainement jamais jugés, par effet des complicités et accointances anciennes et récentes des pays hôtes avec les cerveaux du génocide, mais aussi du fait d’une sorte de dédain teinté de négrophobie.
Mélanie Gouby reprend par la suite à son tour cette manière de faire de grands détours pour ne surtout jamais dire « génocide contre les Tutsi » : « Il y a eu un génocide, 800 000 personnes ont été massacrées, principalement des Tutsi mais aussi des Hutu modérés ». Connaissez-vous la définition juridique du crime de génocide ? Connaissez-vous le degré de détermination politique déployée pour l’implantation de l’idéologie anti-Tutsi avant, pendant et après le génocide (désormais simplifiée en accusation anti Rwanda, le Rwanda ayant à sa tête « un Tutsi ») ? Ignorez-vous que seuls les Tutsi furent visés par un plan politique, Étatique, d’extermination totale ?
Vous terminez par un propos alambiqué sur le thème suivant : comment stopper le néfaste (mais « tout petit », il semble primordial à madame Gouby de le rappeler à de très nombreuses reprises) Rwanda. La réponse est égale aux valeurs portées par la LFI : la France, la communauté internationale seraient à même de sauver le pauvre Congo sans défense. Il s’agit d’un parfait exemple de néo-colonialisme et de paternalisme raciste. Aussi, vous parlez tous deux du Rwanda comme d’un pays sous l’emprise d’un grand méchant dictateur. Il vous faudra penser à prendre votre billet d’avion afin de venir demander aux Rwandais ce qu’il en est. Vous semblez vouloir parler à notre place, avec autorité. C’est toujours aisé s’agissant des populations minorisées. Venez donc au Rwanda, rencontrer le peuple dont vous vous êtes fait les porte-paroles.[10] Au Rwanda, vous verriez ce à quoi vous refusez de croire à cause des clichés néo coloniaux ancrés à propos d’un continent tout entier. Vous verriez un peuple libéré, heureux dans la limite du possible 30 ans après un terrible génocide. Un peuple en sécurité, pouvant faire ses démarches administratives et économiques sans entraves ni corruption. Un pays au sein duquel tous les enfants sont soignés et vont à l’école dans les villes ainsi qu’au sein des campagnes. Vous y verriez ce que vous ne pouvez envisager : un peuple noir africain qui s’est libéré seul d’un génocide soutenu jusque dans les arcanes de l’ONU, qui n’a ni besoin du chaotique Congo, ni des occidentaux pour lui dicter comment s’organiser politiquement et économiquement. S’agit-il de votre hantise ? Car alors que le Rwanda montre que cela est possible, il ouvre la voie à d’autres pays des Suds. Cela rendra à coup sûr la vie difficile aux experts et compagnies de matières premières qui profitent actuellement du chaos et de la malléabilité des pays visés.
Enfin, il faudrait pointer les grands absents de vos analyses, et il s'agit du seul aspect qui soit réellement surprenant, la manœuvre étant inhabituelle dans ce genre de mauvais contenus : les dirigeants congolais actuels. Les voleurs, menteurs et détourneurs professionnels. Votre dédain envers les faits vous permet donc de soigneusement écarter les premiers responsables des malheurs congolais. Une immense responsabilité est à pointer du côté des dirigeants congolais, qui usent périodiquement de l'antitutsisme et des fausses accusations à l’encontre du Rwanda afin de vendre toujours plus leur pays et leur sous-sol aux investisseurs chinois et anglo-saxons, tout en se remplissant la panse au passage.[11] Les citoyens et citoyennes congolais idéologisés eux-mêmes sont également responsables. Une grande partie des personnes s’exprimant publiquement - notamment sur les réseaux sociaux - montre un attachement à un racisme outrancier que plus personne ne peut ignorer. Les termes usés sont ceux de 1959, 1963, 1973 et 1994, bien que vous n’ayez pas toutes ces références. Les Tutsi, les Rwandais sont dépeints en menteurs ataviques, en peuple essentiellement avide de pouvoir et de richesses. En meurtriers, en diables en personnes. Tout un peuple visé en tant que race, monsieur Ruffin. Comprenez bien, la colonisation Belge a détruit ce pays. Elle est donc la première responsable. Mais l’attachement assumé d’une grande partie du peuple congolais aux théories de Gobineau ainsi que pour les débats sans fin à propos de « qui est réellement congolais, qui a une nationalité douteuse » leur appartient bien désormais. Ne pas pointer cela revient à excuser, voire à légitimer ces propos et discriminations systémiques. Nous parlons bien de l’équivalent du néo nazisme - dans toute l’horreur de sa modernité et de ses adaptations.
Cette intervention entière est un ensemble d’allégations formant une propagande par la suggestion et par la répétition, afin d’appuyer la thèse d’un Rwanda fourbe et criminel écrasant un Congo innocent et sans défense. Ne pas percevoir cela, se ranger du côté de la conspiration et clamer être concerné par la situation au Congo est détestable, monsieur le député. Vous auriez pu faire mieux, mais concernant nos pays, la rigueur intellectuelle, politique et historique ne vous préoccupe pas. Là est le fond du problème.
[1] Disponible sur sa page Facebook officielle [2] https://blogs.mediapart.fr/jessica-mwiza/blog/120123/que-fait-le-rwanda-au-congo-24 [3] https://www.jeuneafrique.com/1141691/politique/patrick-de-saint-exupery-il-y-a-eu-des-drames-au-congo-mais-pas-un-genocide/ [4] https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2013-4-page-151.htm [5] https://gateteviews.rw/wp-content/uploads/2022/12/Fin-Pret-Pour-Impression.pdf [6] https://www.youtube.com/watch?v=emiabliFc1U&t=1305s (témoignage à la minute 21) [7] https://afrique.lalibre.be/37961/rwanda-rdcongo-lhistoire-des-fdlr-a-partir-des-documents-de-justice/ [8] https://www.ibuka-france.org/produit/la-trahison-de-human-rights-watch/ [9] https://www.lanuitrwandaise.org/presentation-la-nuit-rwandaise-no7,341.html [10] Vous pourriez aussi commencer par inviter des intellectuels et citoyens Tutsi Congolais, et des Rwandais à vos débats afin de faire preuve de rigueur intellectuelle et de respect du contradictoire. [11] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20221230-la-rdc-rappelle-son-ambassadrice-%C3%A0-paris-d%C3%BB-%C3%A0-des-soup%C3%A7ons-de-malversations
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