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  • Photo du rédacteurJessica Gérondal Mwiza

Génocide contre les Tutsi au Rwanda: quelle justice, 26 ans après les faits?

Pour une fois, la nouvelle a retenti au sein des milieux avertis et au-delà. Félicien Kabuga, vieillard millionnaire, présumé génocidaire, issu des premiers cercles du pouvoir extrémiste rwandais au sein du clan mafieux du couple présidentiel Habyarimana, a été arrêté à Asnières-sur-Seine le samedi 16 mai 2020 à 6 heures du matin.


Il s’agirait du financier du génocide contre les Tutsi. Il aurait financé la Radio-télévision libre des Mille Collines, cette célèbre radio qui entretenait une relation hiérarchique directe avec les milices de tueurs. Il aurait financé ces mêmes milices, les interahamwe, ainsi que leur armement en commandant des centaines de milliers de machettes. D’après la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide, sans cet homme, le génocide contre les Tutsi n’aurait pu être organisé.

Ainsi, c’est une longue cavale qui se termine. Une cavale impliquant de nombreux pays d’Afrique et d’Europe.


Le génocide contre les Tutsi au Rwanda (et non pas « génocide rwandais », pas plus que « génocide au Rwanda ») a eu lieu en trois mois, d’avril à juillet 1994. Il fit plus d’un million de morts, des femmes, des hommes, des enfants, des nouveaux nés tutsi. Il s’agissait d’un crime raciste moderne, sophistiqué, prémédité, préparé minutieusement et donc effroyablement efficace.

La question de la justice concernant ce crime des crimes est une question actuelle, comme le montre cette récente arrestation effectuée par l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité. Le vendredi 22 mai 2020, c’est un autre important fugitif, Augustin Bizimana, qui est déclaré mort au Congo Brazzaville… 20 ans après son décès. L’information a été donnée par le Mécanisme des tribunaux internationaux, qui a pris la suite du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, via un communiqué de presse très succinct. 


Avec toutes ces « bombes » médiatiques et juridiques, plusieurs questions me taraudent et je ne suis pas la seule à être touchée par un brin d’agacement et d’impatience.

Pourquoi l’un des principaux fugitifs de la planète, accusé de génocide, recherché pour persécution et extermination, se cachait-il à Asnières ? Pas en Amérique du Sud, à Asnières ?! Les personnes l’ayant aidé et protégé sont-elles également inquiétées par les enquêteurs, par la justice ? Le contraire n’aurait pas de sens. Quant à la mort d’Augustin Bizimana, le Mécanisme nous l’a annoncé à l’aide d’un communiqué mystérieux, lacunaire. Comment se satisfaire de tant d’opacité lorsque l’on connaît la manière dont les présumés génocidaires ont réussi, partout où ils ont fui, à trouver des soutiens politiques mais aussi papiers, emplois, quiétude, impunité, le tout grâce à leurs fortunes de sang ?


Pour ma part, j’exige de tout connaître de ces hommes. J’exige que leurs réseaux soient découverts, que l’on démantèle les organisations, associations et outils négationnistes qui peuvent être tenus par leurs familles et amis. J’exige de savoir pourquoi la France et l’Europe sont des eldorados pour génocidaires. J’exige de connaître la raison pour laquelle, lorsqu’on laissait mourir les nôtres tels des moins que rien, les familles des cerveaux présumés du génocide étaient immédiatement exfiltrées en Europe : la famille de Kabuga le 12 avril 1994, celle d’Agathe Kanziga-Habyarimana – dont François Mitterrand disait qu’elle avait le diable au corps - le 9 avril 1994, pour une arrivée le 17 avril suivant à Paris.

A toutes fins utiles, rappelons-nous que François Mitterrand, ses plus proches collaborateurs, une poignée de ministres et de hauts gradés de l’armée française ont collaboré avec le « Hutu Power » avant pendant et après le génocide. Une réalité qui n’est pas prête d’être reconnue officiellement. Si, à ce propos, des signes d’amélioration se manifestent, cela ne signifie pas pour autant que la France effectue le cheminement politique et philosophique nécessaire qui pourra mener au discours de vérité. Rappelons-nous également que de nombreux chefs d’Etat africains ont appuyé le Hutu Power, quand ils n’ont pas simplement fermé les yeux sur l’établissement de ses chefs sur leurs sols, à l’image du pouvoir Zaïrois, Kenyan et Camerounais entre autres.


Dans ce contexte, aucune avancée, découverte ou communication concernant la mémoire et la justice du génocide contre les Tutsi ne saura me satisfaire tant qu’il y aura de l’opacité et de l’incomplétude. Il y a tout simplement trop d’enjeux fondamentaux de lutte contre l’idéologie génocidaire.


J’aurais aimé que Félicien Kabuga soit jugé au Rwanda. Il sera très certainement jugé à la Haye et non pas à Paris, malgré les tentatives pathétiques de ses avocats qui ont parlé de la « justice de Ponce Pilate » qui aurait été exercée à l’encontre de leur client.

Il aurait été si important de le faire juger à Kigali : il y a une réelle attente au Rwanda de voir les fugitifs de haut rang répondre de leurs crimes sur le sol même sur lequel ils les ont commis, faisant face aux rescapés, aux familles de victimes et à la nation tout entière qu’ils ont tenté de détruire. Il s’agirait d’un moment historique, de notre moment historique, à l’image d’un Eichmann à Jérusalem comme le dit si bien le professeur Phil Clark.


Aussi, les justices internationales et françaises ont très souvent déçu concernant ces dossiers. Nombreux sont les présumés génocidaires vivant en toute quiétude, malgré les preuves immenses à leur encontre. Malgré les dossiers gacaca, TPIR et Interpol. Que dire de ceux dont le procès a mis des années à démarrer, ceux dont les instructions ne sont toujours pas débloquées « faute de moyens » ?


Le sentiment de supériorité des pays occidentaux en matière de justice et en matière de droits humains doit cesser ! Le Rwanda a fait ses preuves en matière de justice concernant les personnes accusées de génocide, personne ne peut réussir à prouver le contraire de façon sérieuse et argumentée, sans convoquer les théories du complot négationnistes habituelles.

Je reste dans une grande attente de voir les derniers fugitifs arrêtés et la justice faire son œuvre, grâce à la bonne volonté de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, grâce au Mécanisme international, grâce à la coopération internationale. Aussi, j’attends de voir la société engagée en France, tout particulièrement les cercles antiracistes décoloniaux et panafricains, se saisir enfin plus largement de ce sujet et cesser de l’observer comme « l’histoire triste dont on se passerait bien de parler », quand ce n’est pas tout simplement un non sujet, tant l’idéologie négationniste a pénétré ces milieux.

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