Luttes mémorielles juives et rwandaises. Entretien avec Jessica Mwiza et Jonas Pardo
Par Judith Chouraqui et Elvina Le Poul , extrait de la transcription originale sur le site de la revue Jef Klak : https://www.jefklak.org/%E2%80%85les-negationnistes-poursuivent-loeuvre-des-genocidaires-%E2%80%85/)
"Des outils puissants sont mis au service des thèses négationnistes. Les génocidaires, leurs familles, les anciens collabos, que ce soient des universitaires belges ou des politiciens français, sont dans le négationnisme par idéologie et pour leur propre défense. Mais de nombreux·ses autres sont imprégné·es de ce que Patrick de Saint-Exupéry appelle la petite musique : iels prennent pour acquis un discours qui ne nie pas explicitement le génocide, mais minimise le nombre de Tutsi tué·es – le journaliste Pierre Péan 23 par exemple, idéologue au service de la Mitterrandie, répétait le chiffre de 200 000 victimes. En parallèle, ce discours multiplie les morts au Congo, les fameux 3, 6, 9 et jusqu’à 12 millions de morts hutu et congolaises, imputées à tort au FPR. Ces chiffres ne sont fondés sur rien. L’important, c’est que la petite musique soit là, qu’elle soit répétée dans le plus de lieux possible. Elle est d’autant plus efficace qu’elle est quasiment indétectable pour une personne qui ne connait pas précisément notre histoire. Nous devons fournir une veille permanente et prendre le temps d’alerter, de détailler longuement ce que telle personne a dit, pourquoi elle le dit, de qui elle est proche, qui elle a déjà promu·e dans son organisation.
Il y a deux ans, un colloque où des thèses négationnistes ont été défendues s’est déroulé au Sénat : étaient présents d’anciens militaires de l’opération Turquoise, des responsables politiques de l’époque comme Hubert Védrine ou encore l’essayiste Charles Onana 24. Denis Mukwege 25 y était annoncé en grande pompe. Je retrouve ces thèses aussi dans les milieux militants parisiens, au sein desquels je croise des camarades antiracistes, décoloniaux·ales, panafricain·es. Dès que je commence à parler du génocide des Tutsi, on me répond du tac au tac : « Oui, mais et le Congo ? » Là, on peut observer que la bataille culturelle menée autour de la théorie du double génocide est une réussite totale. Ce « Oui, mais et le Congo ? » que l’on entend dès que l’on évoque le génocide bien réel des Tutsi au Rwanda signifie en substance : « Le vrai sujet est au Congo, et le reste n’est que distraction. » C’est très grave et ancré, notamment chez les militant·es afrodescendant·es."
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